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Mediapart ou le journalisme parisien numérisé

samedi 2 février 2008

Je vous préviens, cet article est un brulot.
Non pas que le projet Mediapart soit la pire chose que j'ai vu, et un nouveau media indé est toujours le bienvenu, mais parce que :
1. L'ambiance, le public de cette petite cérémonie m'a vraiment écoeuré
2. Je suis un peu impulsif
3. J'en ai juste assez des journalistes "professionels". J'aimerai juste un peu moins de certitudes sur ce métier SVP

NB : Mediapart pourra garder son nom, et puis surtout j'attends de voir le contenu...


Boulevard St-Germain-des-Prés, dans le forum de la FNAC "Digitale".

Une cinquantaine de cinquantenaires assis sur des chaises pliantes, dont une quarantaine de journalistes parisiens et quelques étudiants d'écoles de journalisme.

Devant eux, confortablement installé dans de gros fauteuils, deux anciens du Monde, présente leur nouveau projet de site d'information micro à la main.

Les gens se regardent, se reconnaissent, se sourient. Entre complicité et concurence, c'est toute la corporation des journalistes de Paris qui s'est réuni pour célébrer la grande messe du passage à Internet. Ca sent la famille ici.
Je me demande vraiment ce que je fais là...

Les gens trépignent d'impatience, le speech commence, petits rires et boutades et même sérieux quand il le faut. Tout le monde se sent à l'aise. Le public est conquis, le projet Mediapart va vraiment révolutionner le paysage de l'information en France. C'est décidé, Internet va permettre de "sortir des logiques de pression commerciales et politiques". François Bonnet et Laurent Mauduit nous parlent avec gravité de la "crise de l'offre éditoriale" en France (Edwy Plenel n'a pas pu venir). Ils vont enfin pouvoir appliquer leurs "règles du jeu, celles de la presse de qualité".

L'audience oscille entre stupeur et ravissement (Internet, c'est le monde de demain!), entre indignation et révolte lorsqu'est évoqué la pauvreté éditoriale de la "grande" presse quotidienne française.

Seul sur ma chaise, je bouillonne à petit feu.

Les lieux communs défilent devant mes yeux ébahis par la suffisance de notre assemblée. Ceux là-même qui, chaque jour, écrivent pour cette presse si pauvre en idées regardent les hommes de Mediapart en héros. Internet : le salut du journalisme !

Je suis effaré de voir nos deux stars du journalisme nouvellement Internet versant presque une larme en évoquant la grande époque de Libération, aujourd'hui tombé cruellement aux mains du capital. Ces deux types-là étaient à la tête des rubriques politique et économie de Libé au début des 90's. Ce sont la démagogie et la molesse de leurs plumes, incapables de critiquer un PS devenu réactionnaire, qui ont éconduit une bonne part de leur lectorat et mené à la ruine un journal qui se portait trés bien à l'époque. Pour être grinçant, je pourrais dire que Rottschild a bénéficié de leur fantastique travail éditorial. Mais peut-être est-ce ma mauvaise foi.

La question du modèle économique est au coeur du débat.
Le site mediapart.com et son équipe seront entièrement financés par les abonnements. Pas de pub, c'est la liberté ! Au bout d'une heure de débat, on apprend que c'est pas de pub "pour le moment". En effet, il faut 1 million de visiteurs uniques pour qu'une pub Web rapporte, c'est donc inutile dès le lancement d'un site.

Objectif : 60 000 abonnés en 3 ans, les abonnements allant de 5 à 15 euros/mois. Un choix risqué mais qui a le mérite de ressituer le lectorat au centre du journal, en faisant le premier décisionnaire (c'est trés facile de se désabonner par Internet). Je vous passe les inepties du genre : "il n'y a pas encore de précédent dans l'Internet, c'est un business modèle entièrement nouveau." Rappelons que l'abonnement est le modèle natif du Web (forums et info payantes), bien avant que la pub ne s'y intéresse.

Les abonnés resteront donc 'maîtres' de ce nouveau site. Une partie importante du projet est liée à leur participation. L'équipe Mediapart n'a pas voulu en dire davantage, préférant se réserver l'exclu pour le jour de la mise en ligne du site. Espèrons qu'ils feront quand même mieux que le Post, ridicule site participatif du Monde au contenu si mauvais que le célèbre quotidien n'en revendique même pas la paternité explicitement. "La garantie du contenu de Mediapart, c'est votre participation", "recréer une relation citoyenne avec le lecteur", bref on ne nous dit absolument rien ni sur les processus d'évaluation et de modération, ni sur la liberté de publication qui sera laissé aux abonnés.

Quand à l'équipe elle-même, des journalistes de La Croix, L'Equipe, Le Monde, des étudiants du CFJ et quelques journalistes web (pas de nom de médias Web cités). Bref, on garde les mêmes et on recommence. Pas vraiment de quoi être optimiste coté ligne éditoriale. D'ailleurs, tout cela reste bien flou si ce n'est "on va vous donner la dizaine d'infos qui comptent (...) avec une véritable valeur ajoutée". Beaucoup d'enquêtes a priori et, ce qui m'a fait presque rire, "un regard neuf sur la banlieue". Ces messieurs avouent d'une voix grave à l'audience subjuguée avoir changé de regard sur les médias aprés les "évènements de Novembre 2005 en banlieue".

On nage en plein délire : Laurent Mauduit lui-même était éditorialiste au Monde pendant cette période. Je me dis que je lirai leur nouveau journal le jour où ils décideront d'installer leur rédaction quelque part entre Aulnay-sous-Bois et Goussainville.

Puis viennent les questions, aprés le brillant discours.
Ca commence par deux ou trois spécimens de l'audience, bien verbeux, qui s'évertuent à s'indigner de Bolloré ou de Sarkozy et finissent par se perdre dans les méandres de leur suffisance pour oublier qu'il devait poser une question.

Les monologues terminés, une étudiante se risque à la question: "Est-ce que Mediapart sortira de la connivence qui sclérose le journalisme actuellement ?" Assurément oui, nous assure-t-on, cela ne fait aucun doute. Néanmoins, je ne suis pas trés convaincu. Sur la page d'accueil du site mediapart.fr, on trouve en vrac les vidéos de soutien de Ségolène Royal, Kamini, Noël Mamere, François Hollande, François Bayrou, Michel Field et j'en passe. Bref, on présente un peu la famille.

On annonce la couleur tout de suite : Mediapart sera un nouveau théatre pour la contestation médiatique, où se produiront les acteurs bien-connus du show "anti-sarko", qui sert aujourd'hui d'alibi démocratique à notre président.

"Et quelle place sera laissé pour l'autocritique ?". Alors là, on a le droit à une réponse édifiante de Laurent Mauduit, qui passe brillament juste à coté de la question en attaquant sur la "critique des médias déja mis en place dans notre rubrique La presse en débat". On avait dit auto-critique...

Puis vient la question fatidique : "Internet, ce n'est pas de la communication par hasard ?". Oh le malheureux ! Que n'a-t-il pas dit ! Oui, Internet est essentiellement de la communication, mais pas Mediapart ! Bien au contraire, Mediapart déjoue les pièges de la crapule "communication", ceux du gouvernement et des grandes entreprises. Je souris malgré moi en les regardant déverser leur abjection sur ce grand méchant fantasme qu'est la "communication", et qui a bon dos décidemment.

En pleine promo dans leur fauteuils, avec la com comme seul espoir de survie pour leur média, ils préférent vanter la valeur de leur futur journal sur le seul gage de leur nom, plutôt que de publier leur première enquête. Communication ? Encore une fois de qui se moque-t-on, me dis-je.

Je décide donc de poser ma question au micro, essayant de pondérer la défiance que me suscite ces personnages qui semblent toujours si satisfaits d'eux-mêmes. Rien de politique, ma question porte sur le travail de l'écriture pour Internet, trés différent pour moi de celui du papier. Je remarque notamment qu'ils continuent à appeler un article "un papier", comme le veut le jargon du métier. Ce terme est somme toute assez inadapté quand on parle d'écran. Je précise que j'étudie actuellement la communication, histoire de mettre un peu d'huile sur le feu.

Alors là, je suis du pain béni pour eux et je me dis que j'ai été un peu con quand je les voit jubiler en me rembarrant. "Ce que vous voulez c'est deux lignes de textes noyés par de de belles guirlandes qui clignotent !", c'est encore un coup de "la culture du zapping" et voila tout. Je m'entends demander si je connais le New Yorker (ce serai bien étonnant tout de même), qui est un exemple et qui publie des papiers de 50 feuillets ! Les gens qui veulent lire tranquillement n'auront qu'à imprimer ! J'aurai voulu dire simplement que si on écrit pour être imprimé, alors pas la peine de se présenter comme un journal Web, mais on m'avait déja repris le micro.

La réflexion autour de l'écriture pour le multimédia, texte-image-photo-son-vidéo-interaction, c'est du gadget pour nerds en mal de scoop. Toutefois, la vidéo n'est pas trop mal, "on peut l'utiliser comme une preuve, et ça coupe un peu le papier". Voila pour ce qui est de l'écriture pour Internet. Pour ma part, je continue à penser qu'on ne lit pas du tout sur le papier comme sur un écran et qu'un véritable travail de réflexion sur l'écriture est à mener. C'est à la fois un passage obligé pour être lu sur le Net et une chance inespérée pour les journalistes de reconsidérer l'écriture elle-même comme une pratique créatrice de sens.

Sauf le respect, le style journalistique aujourd'hui est à peu prés aussi codé que l'est l'écriture de script informatique, et la plupart du temps aussi affligeant de stérilité. Tout ça au nom d'une soi-disant objectivité. Dans la société des Saintes Ecritures, on sait que tout a commencé par le verbe et on ne joue pas avec ça.

Enfin bref, la conférence se termine.

Je pars la dent acérée contre ce "grand journalisme parisien" incapable de la moindre autocritique, figé dans des postures de pouvoir qui seules le légitime, et au passage le discrédite un peu plus chaque jour. Derrière moi, on jubile d'auto-satisfaction. Les plumes 'victimes' du grand capital, pieds et poings liés dans les tribunes des quotidiens nationaux, congratulent les courageux qui prennent sur eux de créer du 'nouveau' en se lançant dans l'aventure Mediapart.

On est heureux de savoir que quelque chose va être fait.

La décadence peut continuer.



_Clément RENAUD
Journaliste Free Lance
Etudiant à Paris 8




Je dédierai ce dernier mot à Bakchich, journal salutaire s'il en est : merci les gars ! (1)

(1) Bakchich dont François Bonnet a dit pendant la conférence que "ce n'est pas parce qu'avec le Net n'importe qui peut écrire, qu'il faut croire que n'importe qui peut devenir journaliste." M. Bonnet, ce n'est pas parce qu'on a une carte de journaliste qu'on ne raconte pas n'importe quoi !

1 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour,

J'ai lu avec attention votre billet, et je ne me retrouve pas du tout dans la description que vous faîtes et du projet et de l'équipe, à laquelle j'appartiens.

"On prend les mêmes et on recommence", écrivez-vous. Je n'ai pas 50 ans, j'en ai 25. Je ne sors ni du Monde, ni de Libé, mais de l'école de journalisme de Lille. Je ne suis pas parisienne, ma vie s'est partagée entre un village de 1000 habitants dans le Loiret et la ville de Lille... Je ne connaissais pas (personnellement) Edwy Plenel, François Bonnet et les autres il y a encore deux mois. Pour moi, tout cela est nouveau, et si vous regrettez que tout le monde "se connaît" et "se reconnaît", et bien moi je découvre tout, je n'estime pas appartenir à un quelconque microcosme parisien, j'apprends à connaître les membres de cette équipe dans laquelle mon avis compte autant que celui d'un autre. Voilà, à mon sens, comment doit fonctionner une rédaction inter-générationnelle.

Et vous serez sans doute étonné de lire que je ne suis pas une espèce rare à "MediaPart": nous sommes une petite dizaine (sur 27) à avoir 25-30 ans, - et même pour certains à faire nos débuts dans le métier -, comme vous le verrez bientôt dans la présentation complète de l'équipe sur notre pré-site. La Netscouade, l'agence Internet qui réalise notre site et avec qui nous travaillons, est également une toute jeune entreprise multimédia.

L'éventail des médias dont sont issus les autres membres de l'équipe est large: Libé, Le Monde, Les Inrocks, 20 minutes, Les Echos, Marianne, La Tribune, La Vie, France Soir, lefigaro.fr, la-croix.com, lemonde.fr, Télérama, France culture, Reuters, etc.

Quant à notre projet: non, nous ne comptons pas plaquer un journal de presse écrite sur un site Internet. Ce serait trop bête de ne pas profiter des avantages du net! Nous voulons varier les formats (long, court) comme les supports (audio, vidéo, texte). Ce que vous voyez pour l'instant, c'est notre pré-site, avec des articles sur le thème "la presse en débat" et quelques premières enquêtes. Notre site sera évidemment plus varié, sur le fond comme sur la forme, avec notamment quelques innovations.

Rien d'arrogant là-dedans, juste l'envie de relever le défi d'une information différente et de qualité, en réinvestissant des lieux désertés, en sortant de l'info circulaire, et en remettant l'investigation au centre de notre métier. Le pari est lancé, à nous maintenant de le tenir.

Marine Turchi, (jeune) journaliste à "MediaPart".